Depuis les années 1980, les États-Unis ont connu une transformation économique et idéologique marquante, portée par l’essor de l’ultra-capitalisme. Le parcours de Ronald Reagan à Donald Trump illustre ce mouvement, un passage de relais entre deux présidents, deux visions du monde, mais une même vénération du marché libre et de l’individualisme économique.
L’ère Reagan : L’avènement du néolibéralisme
Sous Ronald Reagan, élu en 1980, les États-Unis amorcent une réorientation majeure de leur politique économique. Fortement influencé par les théories de Milton Friedman et des économistes de l’école de Chicago, Reagan mise sur une réduction des impôts, une déréglementation des secteurs clés et une réduction du rôle de l’État. Ce qu’on appelle le « trickle-down economics« , ou économie de ruissellement, postule que les avantages fiscaux accordés aux plus riches finiront par bénéficier à l’ensemble de la société, stimulant la croissance et la création d’emplois.
La défaite des syndicats, la privatisation des services publics et l’érosion des protections sociales sont des marqueurs de cette époque. Ces réformes sont souvent vues comme une victoire du capitalisme débridé, où la main invisible du marché est censée réguler l’économie de manière plus efficace que l’État.
Les inégalités commencent à se creuser, mais cette période est aussi marquée par un sentiment de prospérité. Les États-Unis, comme jamais auparavant, deviennent un phare du capitalisme libéré, modelant non seulement leur propre économie mais aussi influençant le monde entier, notamment en encourageant la mondialisation.
Clinton et Bush : Continuation et paradoxe du capitalisme
Bien que les administrations suivantes, celles de Bill Clinton et de George W. Bush, aient eu des approches différentes, l’orientation vers un capitalisme de plus en plus débridé reste inchangée. Clinton, démocrate, continue certaines politiques de Reagan, notamment la dérégulation bancaire, et laisse prospérer la bulle technologique. Sous Bush, le capitalisme financier prend une ampleur démesurée, culminant dans la crise des subprimes en 2008. Cette crise met en lumière les dangers de l’ultra-capitalisme non régulé, mais elle n’inhibe pas l’appétit pour le capitalisme globalisé.
Obama : La promesse du changement et le maintien du système
Barack Obama, élu en 2008, arrive à la Maison-Blanche au milieu d’une crise économique mondiale. Bien que son administration ait pris des mesures pour réguler davantage le secteur financier (notamment par la loi Dodd-Frank), la gestion de la crise et la lente reprise ont montré les limites de ces réformes. Obama, un fervent défenseur d’une régulation plus stricte et de la protection des classes moyennes, s’est retrouvé à gouverner dans un système capitaliste profondément globalisé et imbriqué, ce qui l’a contraint à faire des compromis.
Bien qu’il ait mis en place des politiques visant à redresser l’économie, comme le plan de relance économique et l’Affordable Care Act (Obamacare), Obama n’a pas remis en question les fondements du capitalisme néolibéral. Le système bancaire, bien qu’intervenu par l’État, est resté largement intact, et la mondialisation a continué de se renforcer. Obama, souvent vu comme un président progressiste, a en réalité hérité d’une économie où le pouvoir des grandes entreprises et des marchés financiers était déjà consolidé.
L’ère Trump : Le populisme au service de l’ultra-capitalisme
Donald Trump, élu en 2016, représente un point culminant du phénomène de l’ultra-capitalisme. Bien que sa rhétorique soit populiste et souvent en opposition avec l’establishment, ses politiques économiques sont résolument favorables aux plus riches. La réduction massive des impôts pour les grandes entreprises et les individus les plus riches, l’attaque contre les régulations environnementales et la préférence donnée au capitalisme financier marquent cette présidence.
Trump réussit à capitaliser sur un ressentiment populaire contre l’élite économique et les inégalités croissantes, tout en mettant en place une politique économique qui profite directement à ces mêmes élites. Sa vision du « Make America Great Again » est un retour aux idéaux du capitalisme sans frein, où les profits des grandes entreprises sont perçus comme un moteur du renouveau national, au détriment des protections sociales et de la redistribution.
Biden : Une réponse mitigée aux excès du capitalisme
Joe Biden, élu en 2020, arrive dans un contexte de pandémie mondiale et de crise économique sans précédent. Bien qu’il ait promis de réparer les dégâts causés par l’ultra-capitalisme, ses actions restent limitées par le pouvoir d’influence des grandes entreprises et les impératifs économiques globaux. Ses mesures de relance, notamment l’American Rescue Plan et son infrastructure bill, visent à injecter des fonds dans l’économie, tout en tentant de répondre aux inégalités sociales amplifiées par la crise.
Biden a également pris des mesures pour augmenter les impôts des plus riches et des grandes entreprises, tout en préconisant une plus grande régulation de certains secteurs. Cependant, son administration continue de s’appuyer sur un système économique profondément ancré dans les principes du capitalisme de marché, avec une mondialisation toujours en cours et un contrôle minimal sur les grands acteurs économiques. Biden, tout en tentant de proposer une alternative au modèle trumpien, peine à échapper aux logiques du capitalisme ultra-libéral qui dominent toujours l’économie américaine.
Le triomphe de l’ultra-capitalisme : Une économie mondialisée, mais fragmentée
De Reagan à Trump, en passant par Obama et Biden, ce parcours illustre le triomphe d’un capitalisme globalisé, où les grandes entreprises ont pris un pouvoir immense sur les marchés et sur la politique. Les inégalités se sont exacerbées, la classe moyenne s’est effritée, et la promesse du ruissellement économique s’est évaporée pour beaucoup.
Cependant, ce modèle a également rencontré de nouvelles résistances. La montée des populismes, la révolte des laissés-pour-compte et les débats autour des inégalités de richesse montrent que le système ultra-capitaliste est loin de faire l’unanimité. Les fractures sociales et économiques s’intensifient, et le fossé entre les « winners » du capitalisme globalisé et ceux qui se sentent abandonnés par le système devient une problématique centrale.
L’ultra-capitalisme, né des politiques de Reagan et prolongé par Trump, avec des ajustements sous Obama et Biden, représente un système où les inégalités ont été institutionnalisées, mais où les tensions qu’elles génèrent montrent que ce modèle pourrait bien être en train de vivre ses dernières heures.